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Dimanche matin

Avant, dans un temps devenu lointain mais qui reviendra un jour, les gens allaient bruncher.

Je me souviens d’être passée devant « Chez Régine » par un dimanche matin de tempête, début mars. Il y avait une longue file, une trentaine de personnes qui patientaient malgré la pluie glaciale, sous des parapluies que le vent retournait.

J’imagine que l’attente en valait la peine. Du café chaud et toujours renouvelé pour adoucir le réveil, des œufs et du bacon, des toast beurrés. Pour les plus raffinés, du pain doré avec du sirop d’érable, des œufs bénédictine, un bagel au saumon fumé… Et une ou deux tranches d’orange pour la couleur.

On est loin ici d’une cuisine savante. Le brunch propose des nourritures réconfortantes, grasses, salées et sucrées. Des nourritures de fête. C’est un moment de liberté, où le corps va vers son plaisir.

Il n’est pas anodin que cette fête survienne autour du petit déjeuner. C’est le repas des débuts, celui où tout est encore possible. Et l’œuf, omniprésent dans les plats, parle justement de la magie des commencements. Servi « sunny side up », il image un lever de soleil. Le bacon, servi en abondance, révèle une autre charge symbolique : c’est la version moderne du lard, aliment par excellence du carnaval qui évoque l’excès joyeux. Les deux ensemble composent une assiette parfaite où s’équilibrent le désir des choses à venir et la jouissance du présent.

Mais le brunch n’est pas qu’un petit déjeuner, ou du moins ce n’est pas un petit déjeuner ordinaire : c’est un repas servi « à pas d’heure ». Consommé quelque part entre la fin de la matinée et le milieu de l’après-midi, il étire le congé, le transforme en parenthèse qui échappe au temps surchargé du quotidien. Le brunch offre une gratification, permet de se régénérer avant de recommencer la semaine. Un arrêt, une pause bénie, qui a pris les contours d’un rite laïque et festif.

Même la longue file des clients, à ce compte, participe du rituel. Elle ajoute à la dimension collective, car quoi de mieux qu’une attente partagée dont on sait qu’elle sera récompensée pour se sentir ensemble. À la table utopique qui se remplit inlassablement, il y aura assez à manger pour tout le monde…

Dans ce lieu de sociabilité qu’est le « restaurant à déjeuner », nous faisons plus que manger. Nous goûtons le temps et nous créons du lien, dans la simplicité d’une assiette d’œufs au bacon.